Quand je présente mon spectacle, je suis prêt à tout.
Parfois je m'en tiens à un fil et parfois je marche sur un fil.
Je ne suis pas équilibriste....Enfin, si, d'une certaine manière.
J'improvise. Je n'improvise pas tout mais j'improvise dés que je peux.
J'improvise tant que je peux. Je ne suis pas tenu par un texte.
Si je devais m'en tenir à un texte, je serais comédien.
Un beau jour (ou peut être une nuit) une dame qui voulait m'engager m'a demandé:
"Quelle est votre histoire?'
J'ai essayé de lui expliquer à quel point sa question était génante...
...Pourquoi devrais-je lui raconter ma vie?
Cette Madame m'a soufflé, elle m'a dit qu'elle se foutait complètement de ma vie.
Sympa!
"Pourquoi donc votre question" lui ai-je rétorqué?
"Parce que ta vie je n'en ai rien à cirer...
quelle est l'histoire de ton numéro?" M'a t-elle précisé.
Ah, je ne savais pas qu'il fallait que je raconte aussi une histoire;
je pensais que ce que je faisais se suffisait à lui même.
Je me suis permis de lui demander si j'étais le premier clown qu'elle souhaitait engager....
Elle m'a répondu que ça faisait plus de 25 ans qu'elle en engageait chaque année.
Chaque année, elle engageait un clown pour un spectacle de Noël.
On a beaucoup discuté, elle avait engagé un par un, année par année
tous les clowns de l'Aude, de la haute-Garonne, de l'ariège, de l'Hérault, du Tarn et des Pyrénées.
Je me suis permis de lui demander s'ils avaient tous une histoire à raconter.
Je n'y ai pas cru quand elle m'a affirmé que oui...
J'ai demandé à en savoir plus sur ces histoires.
Sans hésiter, elle m'a parlé de l'histoire de la fleur qu'on coupe et qui repousse;
de mon confrère qui part en voyage (alors qu'il reste sur scène)
de celui qui cherche du travail ( juste au moment où il en a un)
Un autre rèvait (en plein boulot)
Le suivant pensait (à quoi?)
Celui d'aprés jonglait virtueusement (mais ça ne fait pas une histoire)
Il y avait celui qui voyageait ( sans quitter la scène)
Celui qui racontait toute sa fausse vie (en 1 heure)
La dame qui voulait m'engager était intarrissable, j'ai du l'arréter.
Les yeux ronds et la bouche en coeur, le derrière posé sur une chaise,
j'étais anéanti.
"Ca fait plus de 25 ans que vous engagez des clowns pour votre fête d'enfants en présence des parents?"
"Ah oui Monsieur Clon !
Les enfants ont regardé des tas d'histoires de clowns dans nos arbres de Noêl !"
"Et....Et vous......Quelle est votre histoire?'
"Madame, d'histoire je n'ai pas vraiment, je suis un clown de cirque"
"Ah.....Ah ah ah ah ah.....Vous êtes un comique, alors?"
"Probablement, Madame."
"Vous n'êtes pas sérieux!"
"Bien sur que non !"
"Donc...Vous êtes un rigolo, un plaisantin !!!"
"Certainement Madame"
"Donc, votre numéro n'a ni queue ni tête"
"Il n'y a pas non plus de tambours ni de trompettes mais il y a un début et une fin, c'est déjà bien......"
Madame m'a fait savoir que chaque année, les enfants regardaient un spectacle de clown avec une histoire.
Madame s'énervait, Madame rougissait, Madame violissait encore et j'ai pensé que si ça continuait, Madame risquait de noircir avant d'adopter un teint plus livide....Il me fallait intervenir....
J'aurais voulu lui raconter ma vie mais si vous avez bien tout lu,
elle n'en avait que faire.
J'ai eu l'idée de remonter de 5 lignes.
"Madame, vous m'avez déclaré que chaque année les enfants regardaient un spectacle"
"Oui, bien sur et patati et patata et puis ceci et cela et encore voilà"
Allait-elle dire alors que je la coupais au premier patati avant qu'elle ne verdisse....
'Est ce que ces enfants ont la télé?"
Lui demandais-je.
Madame s'étrangla quand elle voulut me dire qu'on était en 2013
et que la plupart des enfants avaient effectivement une télé à leur domicile.
Je n'ai pas eu le temps de lui expliquer qu'il était temps pour ces enfants de vivre,
qu'on leur avait raconté trop d'histoires.
Mon téléphone sonna trois jours plus tard, c'était une autre dame du même village.
"Bonjour Auguste, en quoi consiste votre numéro?"
J'ai failli racrocher mais j'ai tenu bon ( ça ne tenait qu'à un fil....ou à un coup de fil)
"Madame bis, mon numéro est un numéro sans histoire,
c'est une succession de tours de magie, de sets de jonglage, de situations burlesques;
le tout saupoudré de musique et le public est sollicité du début jusqu'à la fin.
Oui Madame bis, ce n'est pas un numéro à regarder, c'est un numéro à vivre."
Elle n'a pas fait d'histoire, elle m'a engagé.
Le jour du spectacle, j'ai rencontré Madame bis qui m'a chaleureusement félicité
aprés ma prestation.
Elle a tenu à me présenter ma première interlocutrice qui allait beaucoup mieux.
( Ce qui ne surprendra personne car dans les contes, tout s'arrange toujours à la fin)
Savez-vous ce qu'elle m'a dit?
J'avais déjà entendu ça quelque part......
( Ce serait dommage que vous ne cliquiez pas sur le lien ci dessus)